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Seuls

Une nouvelle de Inès Gianna

Il ne désirait pas posséder un corps de jeune fille. Il voulait plus que cela. Bien plus encore. Car la possession ne pouvait lui permettre d'assouvir tous ces désirs qui se noyaient en lui. Si Dieu il y avait, Il se serait crevé les yeux pour ne point observer ce que sa création avait engendré. Si Diable il y avait, Il aurait posé sa main sur cette épaule fraîche pour lui susurrer tout bas « Mon fils, ce monde n'est pas le tien. ». L'humanité ne pouvait comprendre ce qui grouillait au fond de ces tripes visqueuses ; ce qu'il se passait là, dans les entrailles du mal. Si ça s'était su, nul doute que cet homme perdrait sa liberté. Mais ça lui importait peu. Car des chaînes à ses mains, à ses pieds, bâillonné ou même privé de l'organe de la parole, étriqué dans sa camisole, en dehors des perceptions, cloîtré dans cette obscurité qui soumet tous les sens ; il est une seule chose, et la plus dangereuse et la plus redoutée, qui ne peut être sous le contrôle d'aucune espèce d'exil : la pensée. Et c'est là que résidait la bête.

Des images parcouraient sans cesse l'œil intérieur. Des images qui n'avaient ni couleurs ni mouvements. Des images qui se répercutaient dans cette chair molle qui accompagne l'œil, l'oreille, le nez, la bouche, la lèvre. Des images où résonnaient l'inaudible. Des images qui crient, qui supplient, qui halètent, qui gémissent, qui geignent, qui meurent. Des images pour lesquelles on suffoque lorsque l'on tente d'emplir ses poumons jusqu'à se couper le souffle. Des images dont la sueur coule jusqu'à notre cou, dont la semence parvient à notre abdomen, dont la salive se partage entre la langue et la verge, dont chaque bille rouge vous donne faim ; une faim insatiable qui ne fait qu'augmenter crescendo jusqu'à l'apothéose. Des images que l'on peut caresser, laper, sucer, embrasser, agripper, arracher, empoigner, lacérer, charcuter. Des images sombres et lumineuses, douce tendresse et violente étreinte, terreurs accablantes et orgasmes merveilleux, baisers pourpres et cinglantes rougeurs, souffrance suffocante et sublime romance.


Des images, des passions, des envies, des désirs, des promesses. Tandis que ce qui sépare l'homme de la bête laissait de l'espoir, voilà que ce qui était commun à la bête et à l'homme le faisait sombrer. Contenir ces pulsions toute une vie durant était une expérience qu'aucun être, vivant ou mort, ne pouvaient se vanter de pouvoir faire. Loin de l'humble sentiment de s'accorder quelque mérite à cet exploit involontaire, la seule pensée que la bête prendrait le dessus à l'homme l'effrayait. Ce qui sommeillait dans ce corps, ce qui avait l'œil ouvert sur l'intérieur, ce qui constituait chaque partie de la chair, ce qui attendait que la paupière se lève sur le monde des couleurs. Ça avait une patience de sage tout en gardant cet appétit dévorant qui n'avait cessé de s'accroître. Cohabiter avec cette noirceur dans l'âme ne pouvait être sans conséquence. Il a fallu faire des compromis. Accepter certaines doléances. Sacrifier sa vie.


La terre tournait toujours, et les gens avec. Mais dans le coin le plus reclus de l'être, le temps n'opère pas. Ni même l'espace. Ni même l'esprit. C'est un isolement forcé par Ce qui contrôle la chaire. Elle veille inlassablement à ce que cet exil soit insupportable, à ce qu'elle dépasse l'entendement et la raison, qu'aucune échappatoire ne soit possible.


Excepté l'abandon.

Seuls

Voici une nouvelle courte et très sombre. Poignante, elle laisse place à l'imagination pour combler les vides et nous laisse seul pour trouver des réponses à nos questions. C'est une œuvre très imagée, qui est une source inépuisable de sensations et qui joue avec nos sens. Frisson garanti !

N'hésitez pas à laisser un commentaire (que je transmettrais bien sûr à l'auteur) !

Bonne continuation sur le site.

Nils K.

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